« Gare aux langues de vipères » : la doctrine de l’omerta à la FSSPX

En quête de vérité : notre lutte pour mettre fin à l’omerta à la FSSPX

« La vérité vous rendra libres » : cette parole du Christ est notre devise, face à l’omerta régnant à la FSSPX. 

Cette quête de vérité est le cœur de notre action en tant que collectif des victimes. Pour autant, son obtention est extrêmement difficile, parce qu’elle nécessite la prise de parole. Cependant, ces victimes ne peuvent pas s’exprimer. Leur parole n’est pas libre. Dans le cas de la dénonciation des abus de toute sorte qui peuvent être commis à la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, la liberté est un préalable à la vérité. 

Quelles sont les raisons du silence des victimes ? Celles faisant que peu de procédures soient engagées ? Elles sont multiples, mais les principales sont la peur et l’emprise psychologique. Tout cela est documenté, notamment en matière de violences conjugales (https://www.cairn.info/revue-empan-2009-1-page-24.htm). Cela s’applique également dans le cadre des violences, sexuelles entre autres, à la FSSPX.

Concrètement, comment cela peut-il se produire ? Comment maintient-on l’omerta ?

Un exemple pertinent est l’homélie de l’Abbé de Jorna lors de la messe du 22 mai 2022 en l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris.

Cette homélie, intitulée « Gare aux langues de vipères », est un cas d’école des incitations à se taire à la FSSPX.

Une transcription complète réalisée par nos soins sera également disponible prochainement.

Qui est l’Abbé Benoît de Jorna ?
Abbé Benoît de Jorna, sur le site La Porte Latine

L’Abbé Benoît de Jorna, qui fête ses 71 ans le jour de la parution de cet article (joyeux anniversaire Monsieur l’Abbé !), est le supérieur du District de France de la FSSPX. Il est ordonné prêtre par Monseigneur Lefebvre en 1984 et est devenu une première fois supérieur du District de France dans les années 1990. Il a aussi été directeur du séminaire d’Ecône, lieu de formation des prêtres de la FSSPX. 

L’Abbé de Jorna connaît bien l’Abbé Patrick Groche, dont nous avons parlé ici, puisque ce dernier a été sous-directeur du séminaire d’Ecône entre 2009 et 2011. Dans un document interne de la Fraternité, l’Abbé de Jorna est interrogé à son sujet. De Jorna souligne « un problème de sensibilité affective avec les jeunes » et évoque les réactions de Patrick Groche au départ de plusieurs séminaristes. L’actuel supérieur du District avait connaissance du comportement du Père Groche près de dix ans avant le lancement d’une première enquête interne à la Fraternité.

Qu’a-t-il fait ? Probablement pas assez.

D’après ce même document interne, de Jorna a autorisé un jeune prêtre, qu’il sait proche de Patrick Groche, « à aller voir l’abbé Groche à Besançon pour le consoler. »

Saint-Nicolas-du-Chardonnet, haut lieu de la FSSPX
Vue de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet
Vue de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet (site internet de la paroisse)

Pour nos lecteurs peu familiers avec la Fraternité Saint Pie X, Saint-Nicolas-du-Chardonnet est une église occupée par la FSSPX. Occupée, car la Fraternité n’a légalement pas le droit d’y résider. La paroisse résidant dans cette église a été chassée par des prêtres traditionalistes en février 1977. Ces derniers avaient choisi d’utiliser la manière forte, après de nombreuses requêtes à l’archevêché de Paris pour obtenir un lieu de culte propre.

Le lieu est victime d’une attaque à la bombe en 1978 et un arrêté d’expulsion est pris. Toutefois, il n’a jamais été exécuté, en raison de potentiels troubles à l’ordre public causés par les occupants. Autrement dit, l’Etat a préféré préserver les traditionalistes plutôt que d’appliquer la loi. Vous y repenserez la prochaine fois que vous lirez des accusations à l’encontre d’une « république laïcarde voulant éliminer le christianisme ».

Depuis, l’église a été « donnée » à la FSSPX par le prêtre à l’origine de l’occupation et cette paroisse est le centre névralgique de la Fraternité, et du traditionalisme, en France.

D’où l’importance d’une homélie prononcée en ce lieu par le « chef » du District de France, le plus grand de la Fraternité. Ce qui est dit à Saint-Nicolas-du-Chardonnet reflète la doctrine de la FSSPX.

Gare aux langues de vipères !
Saint Philippe Néri, peint par Giuseppe Nogari

Nous vous recommandons de visionner l’homélie ou d’en lire la transcription (à venir). 

L’Abbé de Jorna appuie son homélie sur l’Epître de l’Apôtre Saint-Jacques du cinquième dimanche après Pâques. Il cite en particulier cette phrase : « si quelqu’un ne met pas un frein à sa langue, sa religion est vaine ». Comprenez : « le bon catholique se tait »

Cette homélie se découpe en plusieurs parties :

  • Un rappel de Saint-Jacques sur le péché de la langue
  • La nature sociale de l’Homme et l’importance de son honneur
  • La médisance comme atteinte à la Justice
  • La pénitence donnée par Saint-Philippe-Néri
  • Retour sur la médisance comme atteinte à l’honneur d’autrui

Au niveau structurel, l’Abbé de Jorna centre son discours sur l’anecdote de Saint-Philippe-Néri. Il l’encadre par un martèlement de l’idée selon laquelle la médisance est une atteinte à l’honneur.

Une obsession pour l’honneur

Si le supérieur de District utilise 10 fois le terme « médisance » dans ses 15 minutes d’intervention, il ne s’agit pour autant pas du mot le plus utilisé. La notion d’honneur apparaît 12 fois dans le texte. Ainsi, Benoît de Jorna établit un lien entre le propos tenu et ses conséquences sur l’honneur et la dignité d’autrui.

L’Abbé rappelle le principe aristotélicien de l’Homme animal politique. Celui-ci vit dans une société, un groupe, où il construit des rapports avec ses semblables.

Un Homme ne trouve son honneur et sa valeur que dans les yeux des autres. De la sorte, celui qui se retrouve isolé, car privé de son honneur, est hors de la société. Dans la philosophie aristotélicienne, un Homme hors de la société est soit un animal, soit un Dieu. Autant dire que dans l’interprétation chrétienne, être hors de la société équivaut à l’état animal et à la mort sociale.

Le poulet de Saint-Philippe-Néri

Pour rappel, l’histoire du poulet de Saint-Philippe-Néri est relative à la médisance. Une femme qui a l’habitude de médire vient voir le Saint pour effectuer sa pénitence. Ce dernier lui confie un poulet qu’elle doit déplumer et transporter à travers le village, tâche qu’elle remplit aisément. Le lendemain, Saint-Philippe-Néri lui demande de récupérer toutes les plumes tombées. La morale est simple : il est plus facile de répandre un mal que de le réparer.

Nous sommes d’accord sur cette morale. Une victime d’abus sexuels, ou d’abus psychologiques, peut mettre plusieurs dizaines d’années à se reconstruire. Lorsque les victimes arrivent à se reconstruire, car certaines ne trouveront pas l’immense force nécessaire pour surmonter ces traumatismes.

Aujourd’hui, on parle volontiers de la loi de Brandolini, selon laquelle « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ». Une version moderne de cette histoire de Saint-Philippe-Néri. Autrement dit, il faut bien plus d’efforts pour déconstruire un propos que pour le dire. Bien plus de temps pour écrire un article à propos d’un sermon encourageant l’omerta que pour le prononcer au milieu d’une messe. 

Quid de la vérité, ou l’apologie de l’omerta

C’est ici l’immense lacune de cette homélie. L’Abbé de Jorna ne distingue pas le vrai du faux. Plus précisément, il les confond. Il dit en effet : 

« Répéter un mal vrai, c’est la médisance. Dire un mal faux, répéter un mal faux, c’est de la calomnie. »

C’est la seule occurence de la notion de mensonge. Dans cette homélie, la vérité qui heurte est égale au mensonge. La vérité, si relative à un mal, doit être tue. Le supérieur du District de France théorise l’omerta dans la FSSPX, en contradiction avec le huitième commandement : « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain ».

Le silence devient la seule option. Parler, dénoncer, c’est porter atteinte à l’honneur d’autrui, le détruire dans son for intérieur, peu importe ce qu’il a fait. 

Illustrons le avec notre article sur les Abbés Patrick Groche et Damian Carlile. D’après la logique de Benoît de Jorna, notre article relève de la médisance. Ce, même s’il dénonce des faits avérés, documentés, reconnus. En atteignant l’honneur et le propageant sur les réseaux sociaux, encourageant une curiosité vile, cet article serait foncièrement mauvais. Il l’est encore davantage en encourageant d’autres victimes de viols et autres agressions sexuelles (rappelons le ! VICTIMES INNOCENTES) qui, à leur tour, se retrouveraient prises dans une spirale infernale. La vérité n’a en fait aucune importance. 

Il s’agit d’un procédé fallacieux d’inversion accusatoire. La victime se retrouve coupable. Coupable d’avoir mis son agresseur dans l’embarras.

Ainsi, cette victime culpabilisée pense n’avoir qu’une seule issue : respecter la loi du silence. Elle devrait préférer le mensonge par omission à la vérité « dérangeante ». Du côté du Collectif des Victimes de la FSSPX, nous lui disons que cette vérité ne dérange pas. Elle peut parler. Elle peut dénoncer. Elle ne sera pas médisante. Elle sera libre. Elle rétablira la vérité. Elle pourra lever la tête. Elle contribuera à mettre fin aux abus dans la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.

C’est le but que nous poursuivons.